1.6.08

La fuite - petite conte agrémenté d'un hérisson de passage



Une fine pluie tombait depuis la veille, la terre était gorgée d’eau. C’était la nuit ; elle était tiède et printanière, des odeurs de mousse humide, de lichen et de feuilles mortes planaient dans l’atmosphère. Tout était encore tranquille, mais quelque chose avait commencé. Bientôt le calme se briserait.
Ce furent d’abord de faibles bruissements, des tremblements légers, presque imperceptibles ; un frisson général et obstiné qui se répandait en tous sens. Qui parcourait l’espace et traversait toutes choses.
Il y eu ensuite quelques grincements qui devinrent graduellement de plus en plus forts. De brusques crissements comme si quelque chose se mettait en marche. Une lente mécanique… Puis ce sont des petits craquements qui se firent entendre. Ce n’était pas normal ; on pouvait trouver cela étrange, même inquiétant, et tous les oiseaux s’envolèrent d’un seul coup. Ce fut un mouvement rapide, assourdissant, des milliers de paires d’ailes claquèrent au même instant dans le ciel obscur. Acte conduit par la peur, ils abandonnaient les lieux.
Les vers rongeaient ou creusaient des galeries sous le sol. Les cloportes s’agglutinaient sous les pierres, et luisant sous la lune, le limaçon rampait, comme à l’ordinaire. Peu après il y eu d’autres bruits, plus en profondeur, comme étouffés, des grondements lointains. Puis une onde souterraine, une sorte de lent spasme fut bientôt remarquée. Ce n’était plus ni des murmures, ni des rumeurs, tout devenait de plus en plus net, les sons se précisaient. Il ne s’agissait plus d’observer une chose vague mais d’assister à l’évènement.
Les araignées s’inquiétaient pour leurs toiles.
On vit s’enfuir des renards, de nombreux lièvres, des cerfs et même quelques loups. Ils avaient compris. Leur place à eux non plus n’était plus ici.
Soudain la terre se mit à trembler véritablement. Le sol bougeait, tanguait, gonflait sous l’action d’une puissance invisible, implacable. Tout se soulevait, se mettait en branle. Une terrible déchirure, une grande extirpation avait débuté ; de larges trous béants apparaissaient. Ils se dégageaient de l’emprise de la glèbe :
Toute la forêt, tous les arbres, par milliers, chênes, hêtres, saules, bouleaux, ormes dans l’aube naissante s’étaient déracinés d’eux-mêmes, collectivement, de leur seules forces végétales ils s’enfuyaient en courant dans la campagne, traversant les champs en friches et les pâturages, zigzaguant parmi les vaches et les brebis et se servant de leurs longues racines nues comme de grandes jambes souples et mobiles.
Par qui donc avaient-ils été prévenus de l’arrivée prochaine des bûcherons ?...





Joaquim Hock
LLN 31/03/2008